fbpx
24
04
23
École

Com’ & Talk : conférence avec Marie-Laure Hubert Nasser à l’École Supérieure de Publicité

Sur nos campus, les conférences appelées Com’ & Talk, permettent aux étudiants d’échanger avec des personnalités inspirantes du milieu de la communication, du marketing, de la publicité ou du digital, notamment sur leur parcours et leur vision.

Le 5 avril dernier, la Directrice du campus bordelais, Elisa Etcheverry et ses étudiants, recevaient Marie-Laure Hubert Nasser. Fondatrice de YouWan, plateforme de masterclasses pour l’épanouissement professionnel et personnel des femmes. Marie-Laure est également une professionnelle de la communication, conférencière et auteure. Elle a aussi été Directrice communication de la Mairie de Bordeaux pendant 10 ans, aux côtés d’Alain Juppé.

Nous partageons avec vous dans cet article, une partie de cet échange avec cette femme d’exception.

 

Vous aussi avez fait une Grande école de communication, le Celsa : que retenez-vous de ces années ? Et quels conseils pourriez-vous donner à nos étudiants pour tirer partie de ces années d’études?

Mon 1er conseil c’est : faites plein d’expérience ! D’abord parce que vous avez une capacité à vous adapter et vous avez de la puissance de travail. Moi j’ai vraiment travaillé comme un bourreau pendant ma carrière. Faire une grande école, c’est un super investissement. Au Celsa je pense qu’on a réussi parce qu’on a beaucoup travaillé en groupe. Ça a nécessité beaucoup de travail et beaucoup d’investissement et on a aujourd’hui, pour la plupart, de belles carrières.

 

10 ans en tant que Directrice de la communication à la Mairie de Bordeaux auprès d’Alain Juppé : qu’est-ce que vous pouvez nous en dire ? Quels sont les projets qui vous ont marquée positivement, mais aussi ceux pour lesquels vous auriez pu vous organiser différemment ?

Avant Alain Juppé qui est un homme d’État, j’ai eu d’autres patrons qui étaient de grands hommes. Je n’ai eu que des hommes pour patron. D’ailleurs à 73% de nos vies, on aura des hommes comme patron. Sauf si vous devenez patronne ! Mes patrons sont de grands hommes qui m’ont beaucoup appris. Avant Alain Juppé il y a eu André Sentini qui était un homme de communication et qu’on appelait la Sillicon Valley de la communication.

Moi quand je suis arrivée à Bordeaux, j’avais quitté la politique et avais été chassée pour une boîte. La politique est un monde assez violent car beaucoup de pression. Alain Juppé m’a fait entrer dans un Think thank. En 2008 déjà, notre objectif c’était 2030 : quelle serait la société de demain ? À quoi ressemblerait Bordeaux… Moi je présidais une commission et j’ai beaucoup travaillé avec lui sans qu’il ne soit mon boss. Vu qu’on discutait beaucoup et qu’on n’étaient pas forcément d’accord, ça a créé une relation assez forte. Ce qui est  génial avec l’égalité et la mixité, c’est que quand on n’est pas d’accord, ça crée de l’innovation.

Lorsque j’ai pris mes fonctions à Bordeaux, j’avais déjà 20 ans d’expérience en communication. J’ai expliqué à Alain Juppé que j’étais créative et libre et que c’était la condition pour qu’on travaille ensemble. Avec lui, tout va très vite et très fort ! J’ai tout de suite commencé par un audit des comptes, des finances de la ville, de ce qui avait été fait, des enquêtes, j’ai interrogé 80 personnes… le tout en 3 semaines. Je lui ai livré mes recommandations et entre 2010 et 2020 c’est ce qui a été appliqué à la ville de Bordeaux et qui en a fait une des villes les plus rayonnantes au monde selon certains classements. J’en étais assez fière. Alain Juppé étant un homme très intelligent, lorsqu’il a vu les conclusions, il m’a dit que j’avais carte blanche. Et sachez que les gens qui ont de la vision, si vous êtes bons, ils vous donnent carte blanche pour avancer. On a donc fonctionné comme ça et c’était assez génial.

Les questions comme le claim, ou les dimensions d’un flyer, ce n’était pas le problème de Juppé. Son scope à lui c’était plutôt sur le plan de la stratégie, comment on allait embarquer les habitants, quelles problématiques on avait, comment on pouvait concerter… ? ce qui s’est passé à Bordeaux, c’était très tôt par rapport aux autres villes : ce travail de concertation avec les habitants pour faire muter la ville. En sachant que Bordeaux était tournée vers l’intérieur (avec une seule rive) comme toutes les villes de fleuve qui se retournaient pour se protéger de l’invasion par le fleuve.

Nous on a fait retourner la ville vers le fleuve, augmenter la rive gauche et créer la rive droite qui est devenue habitée, avec des projets urbains, avec un immense jardin botanique, avec un jardin en centre-ville. On a travaillé avec des urbanistes, des architectes de qualité, des gens qui pensaient le social et la ville, les gens, les  problématiques de création d’environnement culturels et vivants dans les quartiers… Travailler en collectivité c’est s’interroger sur comment travailler avec des gens et comment on crée leur endroit de vie, etc. et ce n’est possible qu’en politique. Les concertations, l’arrivée du tram, les 5 années de travaux avec les gens furieux… c’est une vie publique. Alain Juppé est un visionnaire qui réfléchissait déjà à 5, 15 ou même 20 ans sur ce que sera la ville ? Comment on crée Euratlantique ? Comment on classe le plus grand patrimoine urbain de l’Unesco ?

Travailler avec des personnes qui vous disent qu’il faut planter les quais, tomber les bâtiments, rénover la ville, faire sortir les façades, repenser la mobilité, installer le tram, c’est une expérience extraordinaire. Ce sont des choses qu’on trouve dans les villes et qui paraissent donc normal, mais il faut savoir que nous on y a travaillé car à notre arrivée il n’y avait rien.

1 mois après mon arrivée, il nous a annoncé, à son directeur de cabinet et moi qu’il devenait ministre d’État dans 24h et qu’il allait devoir quitter Bordeaux donc il nous confiait la ville. Soit 300.000 habitants, 3000 fonctionnaires… j’étais aussi engagée politiquement et j’ai travaillé avec Isabelle Juppé sur les sujets au féminin, c’était un travail extraordinaire.

Le terrorisme, les gilets jaunes, le covid… tout ce qu’il s’est passé ces dernières années, c’est des moments de vibration intense avec les habitants. Ces moments de communion avec les habitants sont hyper forts.

 

Avec tous les projets vous avez menés, dans quelle mesure vous collaboriez avec d’autres villes ? Quels étaient vos modèles ?

Il y avait une femme exceptionnelle sur la question de l’urbanisme : Michelle Larue-Charlus, à la ville et  à la métropole, elle collaborait avec énormément de villes et d’architectes du monde entier. La rive droite par exemple a été travaillée avec Winy Maas qui est un architecte international, le Pont Veil avec Renzo Pianobeaucoup de voyages ont été organisés dans d’autres villes où il y avait des travaux intéressants (comme Copenhague par exemple) sur la question de la mobilité, de l’habitat et de l’éco-habitat. Pour chaque sujet, on allait chercher un modèle inspirant à l’international ou au national. Le fait de travailler la ville basse qui est particulier à Bordeaux, c’est pour respecter le classement à l’Unesco et la ligne des échoppes. On a aussi créé Agora, un énorme événement qui se déroulait au Hangar 14 tous les deux ans. Et là, tous les architectes qui travaillaient sur les mutations de la ville venaient discuter avec les habitants, donc 35.000 personnes qui passaient en deux jours. Les habitants étaient en contact avec tout ce qui allait se passer.

 

Comment vous en êtes arrivée à imaginer des projets spécifiques pour défendre la cause des femmes ?

J’ai eu une observation très tôt de ce qu’il se passait autour de moi. Il y avait une forme d’injustice liée à la répartition des tâches, au fait de cantonner les femmes à certains jobs, de mal les payer... Il y avait une forme de non-liberté. Moi qui étais passionnée de littérature, j’ai mis très longtemps à constater que je pouvais aussi lire des auteures féminins. Parce que dans ce qu’on nous proposait au programme, il n’y avait pas de femme. Pas même dans les livres d’histoire !

Quand je suis arrivée à Bordeaux et qu’il y avait ce développement de la ville qui a gagné en attractivité et donc en habitants, il y avait un vrai sujet. Beaucoup d’hommes étaient chassés (par des entreprises) et les couples venaient s’installer. Mais beaucoup de femmes ne trouvaient pas de travail et le disaient aux élus. On a donc commencé à organiser des événements pour que les femmes puissent se mettre en réseau car on s’est rendu compte que les femmes des différents corps de métiers ne se rencontraient pas.

Nos événements portaient donc sur des thèmes comme « femmes et numérique », « femmes et diasporas africaines », « femmes et reconversion professionnelle »…, on accueillait toutes les femmes qui avaient des projets et on les aidait à développer leur communication. On faisait venir des femmes qui étaient des roles-modèles : Mercedes Erra, Marlène Schiappa, Nathalie Loiseau… pour pitcher. Pour le salon de la reconversion professionnelle par exemple, des femmes venaient de 60km à la ronde car il y avait un vrai problème de reconversion professionnelle, de développement économique, de garde d’enfants… pour toutes ces femmes.

Je me suis beaucoup investie et je regardais les femmes disparaître dans le monde de la politique : Rama Yade, NKM, etc. Cela touchait tous les bords politiques. Et elles disparaissent parce que c’est très difficile et parce que les femmes ne connaissent pas les codes. J’ai donc écrit Petit guide à l’usage des femmes qui s’engagent en politique, pour permettre aux femmes de comprendre en quoi ce projet de s’engager en politique pouvait les intéresser et comment elles pouvaient réussir cette carrière. C’ets valable aussi pour les dirigeantes, pour toutes les femmes qui se retrouvent dans des luttes de pouvoir pour savoir comment faire, comment il faut se positionner… c’était mon dernier don avant de quitter la Ville.

Il y a encore des inégalités qui persistent. Et même lorsqu’elles ne seront plus là, les femmes devront encore faire face aux inégalités liés à leur maternité, à leur santé, au fait d’être aidante (c’est le cas de 53% des femmes). Tout cela freine les femmes dans leur désir d’ambition et dans leur confiance.

 

Après environ 1h d’échange sur des sujets passionnants, nos étudiants sont partis de ce Com’ & Talk enrichis par l’expérience de Marie-Laure Hubert Nasser et ses conseils pour l’avenir. L’École Supérieure de Publicité remercie Marie-Laure Hubert Nasser pour son ce partage, ainsi que toutes les équipes de YouWan.