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Quand le placement de produits s’infiltre dans la littérature …

Chaque jeudi, nous relayons un article de COMinside, le blogzine de l’ESP, terrain d’entraînement rédactionnel des ESPiens. Vous y découvrirez les articles que nos étudiants consacrent à l’actualité communication, médias, digitale, événementiel ou marketing entre autres. Cette semaine nous vous partageons celui de Léa Viricel, étudiante en Bachelor 2ème année nous parle placement de produits et littérature.

Aujourd’hui, le placement de produits dans l’audiovisuel est une pratique pleinement répandue, acceptée et tolérée. De nombreux films sont devenus des références emblématiques en la matière, présentant un fleuron de placements de produits dans leurs scènes. Or cette pratique infiltre également l’univers de la littérature. Le phénomène, bien plus discret et méconnu, pose pourtant débat quant à son intégrité et son éthiqueFaisons le point en trois exemples.

L’affaire Weldon : le grand fracas

Comme l’expliquait Thomas Mrejen dans son article, les placements de produits dans l’audiovisuel peuvent se présenter sous de multiples formes et pour des raisons tout aussi diverses. Que ce soit pour financer le film, ou dans le cadre de sponsoring, nombreuses sont les productions qui y ont recours. Or dans la littérature aussi, une pluralité de possibilités s’offrent aux écrivains.

Les livres-commandes, sont écrits à la demande de l’annonceur pour le mettre en valeur. Ces ouvrages font pleinement partie de la communication des marques. C’est sous cette forme que les placements de produits dans la littérature font une entrée fracassante en 2001. L’affaire Weldon, largement controversée, a fait réagir l’opinion publique et mis en exergue cette pratique. La marque de bijoux Bulgari, a mandaté l’écrivaine Fay Weldon pour réaliser un écrit consacré aux clients de la marque. Mais en lisant The Bulgari Connection la maison d’édition de l’auteur décide de publier le roman et le faire découvrir au grand public. C’est à ce moment que commence la controverse.

En parcourant ces lignes, les lecteurs réagissent instantanément et les critiques se font vives. Certains se moquent gentiment du roman quand d’autres contestent la moralité et l’intégrité de la romancière, inquiets à l’idée que cela puisse engendrer d’autres dérives du même type. La crédibilité de l’ouvrage est aussi remise en question : comment s’imprégner totalement de l’intrigue quand on sait que l’un des leitmotivs du roman est régi par un objectif marketing ? Si toutes ces questions font débat, certains y voient néanmoins la possibilité d’un tremplin pour la fiction, une manière comme une autre de toucher une rémunération conséquente quand les droits d’auteur eux sont aléatoires.

Stratégie de manipulation

Et que se passe-t-il quand la dérive se banalise pour devenir un mode de financement comme un autre ? Exemple avec la publication du roman The Karasik Conspiracy aux USA en 2005. Ce thriller imaginé par Mark Barondess, avocat et consultant de l’entreprise PhaRMA (Pharmaceutical Research and Manufacturers of America) met en lumière les préjudices liés à l’utilisation du placement produits en littérature, puisque cette publication a constitué un moyen efficace, bien que moralement douteux, de manipuler les consommateurs américains pour parvenir à des fins purement mercantiles.

En effet, ce roman narre comment les sites web de grands groupes pharmaceutiques sont détournés à des fins terroristes dans le but de tuer des milliers de consommateurs en quête de médicaments à bas prix. Rappelons que le système de santé américain diffère du nôtre car il ne permet pas un remboursement efficace des soins. En jouant sur la peur que le roman pouvait déclencher dans l’opinion publique, le groupe PhARMA espérait ainsi pouvoir empêcher le vote d’une loi autorisant l’exportation de produits pharmaceutiques canadiens aux États-Unis. Ces médicaments, moins chers, auraient pu menacer l’entreprise !

Si la précédente affaire citée questionnait la légitimité d’une entente entre marketing et fiction écrite, ce dossier met en exergue les limites de ce fonctionnement, tout en dévoilant une stratégie d’influence vraiment complexe et malsaine. L’utilisation du roman par les lobbies interroge ici profondément et introduit une véritable méfiance face à l’objet écrit, à la fiction qui devient outil de manipulation de masse.

Une technique en devenir ?

Autre point important : les marques voient dans la littérature un moyen de communiquer d’autant plus efficace qu’il est moins coûteux que dans l’univers audio-visuel, le marché n’étant pas encore aussi développé. Pourtant certains y voient déjà le futur, voiremême le renouveau de la publicité. C’est le cas avec le roman Find me, Im yours écrit par Hillary Carlip, qui aborde le placement de produits de façon totalement complexée.

Moyennant un montant de 1,3 millions de livres, la marque Sweet’N Low, un édulcorant artificiel, investit une bonne place dans le roman. L’héroïne va alors vanter à longueur de pages les mérites du produit, prendre soin de neutraliser les inhibitions et les peurs du potentiel consommateur, de manière plus ou moins subtilePlus encore, ce e-book publié par RosettaBookset distribuénotamment sur Amazon, Apple’s iBook store et de nombreux autres circuits, propose des liens vers les réseaux sociaux et met en vente des cartes électroniques à 6,99 dollars sous forme de cartes postales afin que le lecteur puisse télécharger le code et le roman sur son ordinateur.

Une manière également pour les maisons d’édition de dénicher et collecter les données des consommateurs, de comprendre à quel moment ils se sont arrêtés dans leurs lectures pour déterminer l’impact des placements de produits dans les ouvrages et imaginer comment les optimiser. Dans ce cas précis, le roman n’est plus vu comme une création littéraire, mais comme un outil marketing pour les annonceurs, un contenu sponsorisé visant à rassurer les lecteurs tout en captant leur sympathie sans qu’ils s’en rendent compte.

Si la moralité de cette pratique est pour le moins contestable et bien éloignée de l’acte artistique d’écriture littéraire, les annonceurs sont de plus en plus nombreux à s’intéresser. Aujourd’hui, certaines maisons d’édition y voient carrément une manière de renouveler le marché littéraires et décident de s’y consacrer pleinementsans se préoccuper de la réticence des lecteurs. Une chose est sûre, le placement de produits dans la littérature n’en est sûrement qu’à ses prémices.