Marketer le MMA : un sport de combat dans une cage de velours ?
Chaque jeudi, nous relayons un article de COMinside, le webzine de l’ESP, terrain d’entraînement rédactionnel des ESPiens. Cette semaine nous vous partageons celui écrit par Sébastien Ehlert, étudiant en Bachelor 3ème année Stratégie Digitale qui nous parle de la légalisation de la pratique du MMA.
2 avril 2019 : la presse sportive française frémit d’excitation ! La ministre des Sports Roxana Maracineanu envisagerait de légaliser la pratique du MMA, aka Mixed Martial Arts, «combat libre» ou «free-fight», dans l’Hexagone. Un tournant dans la reconnaissance de ce sport décrié, interdit de compétition sur notre territoire mais néanmoins plébiscité avec environ 50 000 usagers. Pas de fédération attitrée, pas de formateurs diplômés, une pratique que certains considèrent comme humiliante … et surtout un sacré marché, comme le dénonce Jean-Luc Rougé, président de la fédération française de Judo et ancien médaillé : « Le MMA n’est pas un sport. Tout ça est né d’une invention pour faire du business”. Violent, dangereux, dégradant, le MMA fait recette … le fruit d’une stratégie marketing pointue et sans scrupule.
Quand l’Ultimate Fighting Championship markete le MMA
Plantons le décor. Dans le monde, il existe une immense variété de sports de combat. Le karaté, le judo et la boxe sont populaires en France grâce notamment aux bonnes performances des athlètes hexagonaux aux Jeux Olympiques et dans les autres compétitions internationales. Mais ces dernières années, un nouveau sport de combat se démarque tout particulièrement : le MMA (Mixed Martial Art). Il permet à tous les pratiquants de sports de combat de croiser les pratiques pour en découdre avec brutalité et sans limites ou presque. Et s’il est interdit en France, il connaît un essor remarquable Outre Atlantique, où il constitue un business plus que juteux.
En novembre 1993, l‘Ultimate Fighting Championship (UFC) a été fondée, pour mettre en avant la pratique du MMA. En 25 ans, elle devient la plus importante ligue mondiale du genre, rachetée par WME-IMG en 2016 pour … 4 milliards de dollars. C’est dire sa valeur. Et pour cause ! L’UFC, c’est 500 combattants sous contrat, plus de 40 événements télévisés par an, diffusés dans 29 langues via 156 pays, avec à la clé des tarifs de diffusion faramineux : 100 millions de dollars pour autoriser Fox Sports à retransmettre les matchs avec à la clé une audience d’un milliard de spectateurs. L’UFC a structuré et marketé ce sport au point que les bénéfices du MMA dépassent ceux de la boxe : près de 600 millions de dollars en 2015 selon Le Parisien. Sa stratégie ?Promouvoir le MMA comme on le ferait pour une marque à part entière, en s’appuyant sur trois piliers classiques mais incontournables :
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le « packaging » du MMA
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la personnalité de Conor McGregor, le super champion de la discipline
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la communication autour des superfights.
Fight Club spirit
Le MMA comme une marque à part entière, mais encore ? En ce qui concerne la scénographie des combats, on a voulu faire appel àun directeur créatif reconnu … et on a donc engagé … John Milius, le réalisateur et scénariste du film Conan le barbare.Carrément. La cage de métal octogonale censée n’avantager aucun combattant et qui rend le fight plus spectaculaire et barbareencore dans un pur esprit Mad Max, c’est son idée.
Le décor est planté. Maintenant, il faut un produit à la hauteur, une formule « intense » qui fait monter le niveau de testostérone et donne envie de se déchaîner. Du coup dans la cage de métal, on enferme deux combattants. Les règles sont simples : tous les coups (ou presque) sont permis, et si on est amoché, c’est encore mieux. Il existe deux issues : soit le vainqueur gagne par KO, soit par soumission de l’adversaire. Pas de calcul aux points avec décision finale des juges comme à la boxe. Le combat se termine par une victoire « totale » d’un des deux combattants.
Fight Club spirit … Bien sûr, ces règles ont été pensées pour rendre les combats plus acharnés et attractifs, tant par la durée des affrontements que par la brutalité des coups, qui peuvent être terribles. Le président de l’UFC, Dana White, a d’ailleurs trouvé un insight plus que parlant : « Le combat est dans l’ADN de tous les êtres humains ». Pareille logique permet de toucher n’importe quelle personne. Qui ne s’est jamais battu pour défendre un proche, son opinion ou ses valeurs ? Bref on capitalise ici sur l’agressivité latente de chaque individu qui trouve dans ces affrontements déchaînés un exutoire aux frustrations du quotidien.
Conor McGregor : un cas d’école
Outre cette stratégie marketing, l’UFC popularise son sport en tablant sur l’image de ses sportifs. Exemple parfait de ce celebrity marketing féroce : Conor McGregor ! Irlandais d’origine, né à Dublin à la fin des années 80, ce professionnel du MMA trace sa route dans le milieu dés ses débuts, alors qu’il n’avait encore rien prouvé. Sa confiance, son assurance, son insolence l’imposent rapidement comme une des attractions phares du combat en cage : en 2011, il est sacré champion de la division poids légers et poids plumes, en même temps. Une première !
A la suite de ce double succès, il intègre l’UFC, et, combat après combat, conquiert le statut de star incontournable. Normal. Outreque ses performances sportives font de lui un élément essentiel dans le milieu du MMA, c’est un compétiteur provocant, qui fait le show en conférence de presse. Bref un excellent argument de vente, un outil marketing de choix … qui n’en finit pas de surprendre. En 2017, il affronte Floyd Mayweather, l’un des plus grands boxeurs des années 2000, demeuré invaincu en plus de 18 ans de carrière.
Ce combat « choc » a permis d’engranger plus de 700 millions de dollars dont 100 millions ont été reversés à McGregor. La promotion de l’événement était digne d’un film hollywoodien, avec une tournée promotionnelle dans quatre villes différentes (Los Angeles, Toronto, Londres et New York), histoire que les deux protagonistes fassent monter la pression et enchaînent les invectives lors des conférences de presse et devant les caméras. Au finish, si McGregor perd par KO technique, il est félicité pour sa prestation puisqu’il n’a pas évolué dan son sport de prédilection en combattant un as de la boxe anglaise.
L’effet McGregor se popularise au delà du sport. Son nom apparaît de plus en plus souvent sur les écrans et autres medias. L’UFC a sorti en 2014 le premier volet d’une série de jeux vidéos fondés sur le MMA avec McGregor en star. Il est en couverture de la pochette du jeu pour la saison 2. Il joue l’un des personnages du jeu Call Of Duty. Il s’entraîne avec l’acteur incarnant Gregor Clegane dans la série Game Of Thrones. Il est aussi approché pour jouer le rôle du méchant dans un film de James Bond. En janvier 2016, une pétition propose que son visage soit présent sur les pièces de 1 euro irlandaises. Enfin, en 2017, il a été désigné par leTime Magazine comme l’une des cents personnalités les plus influentes dans le monde.
L’art du superfight à l’extrême
Pourquoi ne pas exploiter un tel filon à l’extrême ? C’est là qu’intervient le « superfight ». Le 6 Octobre 2018, après 2 ans d’inactivité, ayant perdu tous ses titres, Conor McGregor reprend du service en affrontant le numéro 1 actuel Khabib Nurmagomedov pour un combat d’anthologie, décliné en trois temps afin d’amplifier l’impact de l’événement.
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L’avant match :
Le superfight est annoncé le 3 août : la nouvelle bouleverse le monde des combats … puis plus rien. Silence radio, plus aucune information ne filtre. La raison ? McGregor refuse de nombreuses conférences de presse. Cette posture ne plaît pas à l’UFC, qui doit néanmoins plier ; comme l’explique son président, « il y a beaucoup de frustration de l’UFC à propos de l’attitude de McGregor, mais au final, il a l’avantage car il vend plus que n’importe qui ». En résumé, McGregor est devenu une marque plus prestigieuse encore que l’UFC, qui l’a pourtant façonné. Mais ses réserves face à la presse font sens, vu le contexte : en retraite depuis deux ans, l’irlandais ne sous-estime aucun adversaire, surtout pas ce jeune russe qu’il va affronter et dont il se méfie. Ce combat, c’est l’un des plus grand défis de sa carrière. Il doit se préparer. Sur ses réseaux sociaux, il montre l’énorme investissement qu’il met dans son entraînement, comptant sur son aura pour assurer le succès de l’événement.
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Le match :
Pendant l’affrontement, la tension est électrique. Concentré sur sa préparation plutôt que sur la promotion de son combat, McGregor s’est rattrapé quelques heures avant le match : il provoque son adversaire en l’attaquant sur sa religion et sa famille. Une manière peu élégante de déstabiliser son rival … et de faire le buzz. Cette bravade est un aubaine pour l’UFC qui se félicite des retours médiatiques, car l’altercation survenue après tant de silence s’est transformée en promotion express pour le match et a permis une augmentation de 50 millions de dollars de bénéfice … même si le fight est finalement remporté par le Russe Khabib grâce à un étranglement arrière.
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L’après match :
Ce qui déclenche une bagarre générale digne d’un film de Lautner. Le vainqueur veut humilier son adversaire en le jetant hors du ring sans y parvenir. L’équipe de McGregor réplique en s’attaquant au Russe ; les policiers interviennent car l’équipe de Khabib s’attaque à McGregor, encore à terre sur le ring. Ce pugilat a été vu dans le monde entier. Le directeur de l’UFC, qui a dû s’excuser de l’attitude des deux camps en conférence de presse, a néanmoins saisi l’opportunité que constituait cet affrontement. Le combat a eu un écho sans précédent sur la planète sportive … une opération de communication réussie à moindres frais pour une stratégie quirappelle étrangement les scénarios typiques du catch. D’ailleurs, McGregor, le lendemain même de sa défaite, a demandé sa revanche via les réseaux sociaux.
On peut se demander aujourd’hui si ces échauffourées spectaculaires mais qui n’ont rien de fairplay ne sont pas en train de prendre le pas sur la performance sportive pure. La suite logique de la stratégie de communication mise en place par l’UFC pour mettre en place la marque MMA en privilégiant violences, buzz et argent ? En tout cas, miser sur le sensationnel au détriment de la discipline elle-même constitue un risque en terme d’image et de reconnaissance. Voici qui interroge l’avenir de ce sport, à l’heure où, se féminisant petit à petit, il est en passe de conquérir la planète.
Pour en savoir plus :
https://fr.wikipedia.org/wiki/Conor_McGregor#Comportement
Sébastien EHLERT – Bachelor 3eme année – Stratégie digitale – 2018/2019