Quand L’Oréal Paris défile : le rêve accessible ?
Chaque jeudi, nous relayons un article de COMinside, le blogzine de l’ESP, terrain d’entraînement rédactionnel des ESPiens. Vous y découvrirez les articles que nos étudiants consacrent à l’actualité communication, médias, digitale, événementiel ou marketing entre autres. Cette semaine nous vous partageons celui de Pierre Leroy, étudiant en bachelor 3ème année en Cycle Intensif qui s’est interrogé sur le le défilé l’Oréal ouvert au public.
Le début de l’automne a sonné l’opening de la Fashion-Week 2018, l’occasion pour L’Oréal Paris de lancer son deuxième défilé ouvert au public, en partenariat avec la Fédération Française de Haute Couture et de la Mode et grâce au soutien de la Mairie de Paris. Par delà l’opération de communication, l’événement orchestré le 30 septembre dernier sur un Port de Solférino transformé en catwalk géant, a fusionné des enjeux cruciaux pour la marque, avec en toile de fond cette question essentiel : pourquoi L’Oréal Paris investit-il de pareille façon dans l’événementiel grand public ?
Étendre l’image de marque
Rappelons-le, ce défilé est le second d’une série visiblement gagnante. Le bilan du premier opus, tenu le 1e octobre 2017, fut à ce titre sans appel : pas moins de 600 invités triés sur le volet, 50 égéries et mannequins de toute nationalité ainsi qu’une marée humaine de 300 000 participants. De quoi donner envie de continuer sur cette lancée, initiée par Samy Cheddadi. La « big idea » a été insufflée par le responsable communication internationale de la marque. Depuis plus de deux ans, ce dernier s’est donné pour mission d’étendre l’image de marque de L’Oréal comme expert des cosmétiques tout en valorisant son ancrage historique et son expertise. Sa stratégie a été encouragée par le président monde de la marque, Pierre-Emmanuel Angeloglou, qui fait carrière au sein de l’enseigne depuis maintenant 22 ans.
Les deux hommes veulent résolument démocratiser la beauté, en cherchant également à développer les partenariats de la marque, comme en témoignent ces deux défilés qui ont mobilisé pléthore d’acteurs, et non des moindres. La fusion mode/cosmétiques ainsi séduit 12 grandes maisons de couture dont Isabelle Marant, Jacquemus, Elie Saab, Ami, Atlein, Balmain, Esteban Cortazar, Giambatista Valli, Off White, Pierre Hardy, Poiret et Sonia Rykiel. En ce qui concerne la joaillerie, les bijoux portés lors du défilé étaient fournis par Chopard, célèbre enseigne des Champs-Élysées. L’Oréal a par ailleurs fait appel aux talents de la make-up artist Val Garland et du hair stylist Stéphane Lancien. Bref il s’agissait de mobiliser les meilleurs.
Une forte portée médiatique
Tout a également été fait pour accroître la portée médiatique de ces événements et en faire d’incontestables succès, par delà une couverture presse volumineuse.
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La manifestation située port de Solférino tout comme celui des Champs-Elysées ont bien évidemment été placés sous haute surveillance … et ont largement perturbé la vie de la capitale. Le trafic fluvial sur la Seine a été interrompu pendant toute la durée du second défilé, tout comme l’an passé, la circulation automobile avait été suspendue sur la plus belle avenue du monde. Il faut dire que le déploiement technique a aussi été impressionnant : le second catwalk s’étendait sur 60 mètres de long pour 7,5 mètres de large ; sa construction sur 8 jours a impliqué une équipe technique de 300 personnes !
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Le jour J, des écrans géants étaient placés aux alentours du catwalk pour permettre aux retardataires de profiter eux-aussi du spectacle offert. L’ambition des maisons partenaires était d’offrir au plus grand nombre la possibilité d’admirer la collection automne-hiver 2018-2019 ; il était donc également possible de visionner le défilé en temps réel sur le site officiel de L’Oréal Paris, et c’est ainsi que plus de trente pays y ont eu accès. Par ailleurs ce ne sont pas moins de 200 000 amateurs de mode qui ont relayé l’événement sur les réseaux sociaux.
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Les produits de maquillage et de coiffure étaient bien sûr référencés, pour permettre au monde entier de reproduire les looks abordés par les égéries. Parmi elles, Doutzen Kroes et Jane Fonda, ambassadrice de la première heure, qui a clôturé le défilé. De Soo Joo Park, native de Séoul (nouvelle égérie L’Oréal) à Maria Borges née à Luanda, sans oublier la présence remarquée d’Eva Longoria, la marque de cosmétiques a réussi à fédérer la beauté à l’international. Un message d’une rare puissance.
Des enjeux sociétaux
C’est là l’objectif affiché par la marque. Pierre-Emmanuel Angeloglou a d’ailleurs précisé à ce sujet qu’il était question de « rendre accessibles les tendances de la mode et de la beauté au plus grand nombre ». Tous les éléments du défilé étaient directement disponibles en boutique à celles et ceux désireux de reproduire les looks proposés. Mais il existe bien d’autres enjeux colossaux, pour ne pas dire sociétaux.
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Jean-Paul Agon, PDG du groupe dit s’appliquer à construire une entreprise « citoyenne du monde ». Cet objectif épouse la philosophie propre à L’Oréal, première entreprise en terme de parité et comptant un effectif issu de 162 nationalités, en conséquence inscrite parmi les 20 meilleures entreprises en terme d’inclusion et de diversité. Là encore, le défilé permet au leader des cosmétiques de mettre en lumière l’universalisation de son effectif et de réaffirmer sa culture d’entreprise.
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En terme d’image, l’an passé le défilé a été vu 1,8 milliards de fois. Un résultat à la hauteur d’un chiffre d’affaire estimé à 26 milliards d’euros en 2017. C’est un immense succès pour L’Oréal, principalement en terme de communication digitale, puisque le catwalk a pu être filmé par des drones et retranscrit à l’international. Ce dispositif d’envergure était nécessaire pour signifier la prédominance de la première marque de cosmétiques aux États-Unis, en Chine et en Russie.
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Le ciblage est d’autant plus important qu’il n’est pas seulement géographique, mais économique. Les rachats vont bon train, dont le plus récent est La Roche-Posay. Il ne faut pas oublier que la marque L’Oréal se segmente avec les produits Kérastaseet Shu Uemura, sur une gamme de prix très variée. Les marques de luxe s’associent aux marques de cosmétiques actives, là encore, le but du défilé est de combiner les maisons de haute couture avec le savoir-faire des produits L’Oréal.
Une marque en métamorphose ?
Si ces derniers sont axés sur un ciblage grand public, depuis quelques années, la marque essaye de toucher un segment haut de gamme. Et pour cause : la clientèle chinoise, qui convoite fortement les produits de luxe, est aujourd’hui la première cliente de la marque (3 milliards d’euros de chiffre d’affaire). Ce constat impacte d’ailleurs le travail réalisé sur le packaging, traduisant une volonté de ciblage plus haut de gamme. Réaliser un défile haute-couture ouvert au public, c’est donc miser sur une communication scissipare très ingénieuse : l’événement permet à la fois d’intégrer une cible orientée vers le luxe, mais aussi une cible plus généraliste.
Aussi, dans des pays comme la Chine et l’Inde, les produits consacrés à l’homme se vendent très bien, ce qui est plus compliqué en France. Est-ce pour cette raison que le défilé 2018 intégrait parmi les mannequins parcourant le catwalk, Nicolaj Koster Waldau, acteur de la série Game of Thrones ? Visiblement il s’agit de renforcer le lien entre l’homme dans les produits de beauté au quotidien, et de conquérir une clientèle masculine désireuse de soigner sa personne.
Les produits phares du défilé, issus de la collection « Capsule », en collaboration avec Isabelle Marant étaient également mis à l’honneur. La stratégie marketing était fondée sur l’achat d’impulsion, ; tous les produits proposés pouvaient être acquis en ligne ou en magasin, afin de reproduire les looks des mannequins du défilé. Pour faciliter la vente, le site de L’Oréal Paris avait référencé une catégorie « Get the Catwalk look » où l’on retrouvait ainsi le nom des partenaires : « Get the look JACQUEMUS » ou « Get the look ISABELLE MARANT ».
Résultat ? Lors du défilé, les cours de la bourse ont atteint un pic à 208 millions d’euros ; en moyenne les résultats de L’Oréal se situent plutôt entre 190 et 195 millions. Les chiffres réalisés ce jour là représentent parfaitement le succès de la stratégie digitale opérée, qui mêle la volonté de faire pivoter l’image de la marque et l’ouverture à de nouvelles cibles. Une stratégie decommunication réussie que le credo du PDG de L’Oréal résume parfaitement : « on répond moins à un besoin qu’à un rêve ».
Pour en savoir plus :
https://www.lsa-conso.fr/fashion-week-l-oreal-paris-organise-un-defile-sur-la-seine,297311
http://www.leparisien.fr/paris-75/l-oreal-fait-son-show-sur-la-seine-23-09-2018-7899816.php
https://www.loreal.fr/media/news/2017/october/le-defile-loreal-paris-sur-les-champs-elysees
https://www.boursier.com/actions/graphiques/l-oreal-FR0000120321,FR.html
https://www.loreal-paris.fr/paris-fashion-week-2018